30.11.14

Lisbonne brûle-t-elle ?

José Socrates en campagne à Lisbonne, le 30 mai 2011(AFP PHOTO /FRANCISCO LEONG)
L'ancien Premier ministre socialiste José Socrates a été cueilli par la police portugaise le 21 novembre, alors qu'il descendait d'un avion en provenance de Paris. Accusé de "fraude fiscale, corruption et blanchiment d'argent", il a été placé en détention provisoire.

Après sa défaite aux élections législatives de 2011, véritable camouflet contre celui qui avait inauguré les premières mesures d'austérité en 2010, Socrates a entamé une nouvelle vie dans la capitale française. Inscrit à l'Institut d'études politiques de Paris, en master puis en doctorat, l'homme politique reconverti en étudiant s'était installé comme locataire dans un luxueux appartement du XVIe arrondissement. Il y a un an, il déclarait encore à l'hebdomadaire Expresso : "Je n'ai jamais eu une vie aussi agréable que celle que je vis à Paris."

Des grosses sommes en liquide

C'est d'abord ce bien immobilier exceptionnel, situé dans un des quartiers les plus chers de la capitale, qui éveillera les soupçons de la justice portugaise. Puis, c'est sa banque, la Caixa Geral de Depósitos, qui aurait détecté des mouvements anormaux sur ses comptes bancaires et qui les aurait dénoncés au département central d'investigation et d'action pénale (DCIAP). 

En plus de l'ancien Premier ministre, trois autres personnes ont été arrêtées : Carlos Santos Silva, un ami de longue date de Socrates, Gonçalo Ferreira, avocat et collaborateur du même Carlos Santos Silva, et João Perna, le chauffeur personnel de José Socrates. Ce dernier, interpellé en possession d'une arme à feu, a notamment été accusé de faire régulièrement des allers et retours entre Lisbonne et Paris avec de grosses sommes en liquide – qui se comptaient parfois en dizaines de milliers d'euros. 

Frénésie soudaine de la justice portugaise

Si les arrestations liées aux différentes affaires de corruption qui émaillent l'actualité du pays depuis cet été (affaires de la banque Bes, des"visas dorés", etc.) sont vues d'un bon œil par la presse lusitanienne, il est, comme le rappelle l'éditorial du Publico du 23 novembre, "peu confortable de constater que la frénésie de la justice n'est pas toujours motivée par la découverte de la vérité". 

En effet, certains soupçonnent le gouvernement de centre droit de vouloir faire de Socrates un bouc émissaire, afin d'escamoter le récent scandale de l'affaire des "visas dorés". L'enquête, baptisée opération Labyrinthe, avait remis en cause l'impartialité des chefs de la police des frontières, des services secrets et des renseignements généraux. Et le ministre de l'intérieur, Miguel Macedo, avait dû démissionner. 

Une justice impartiale ?

Francisco Louçã, ancien leader du Bloco de Esquerda (Bloc de gauche),cité par Expresso, critique l'action excessive de la justice portugaise : "Au Portugal, nous avons la fâcheuse habitude de placer un suspect en détention avant même de l'avoir interrogé." D'autre part, Francisco Louçã alerte sur une crise de régime possible car, dit-il : "Depuis les affaires des visas dorés, de la BPN, de la BES, c'est un gigantesque naufrage à la Titanic qui se profile."

Cité par le média en ligne O Observador, le parti d'inspiration maoïste PCTP/MRPP parle d'un "véritable coup d'Etat qui vise directement les partis à la gauche du Parti social démocrate (PSD)" et accuse le pouvoir en place de vouloir détourner l'attention de l'opération Labyrinthe et de "laisser libre Ricardo Salgado [banquier mis en examen dans le cadre de l'affaire de la banque BES], chef du plus grand gang d'escrocs et financiers des campagnes d'António Cavaco Silva [l'actuel président] et du PSD".
A l'inverse, pour le journal du 23 novembre, "ce n'est pas une justice équitable pour tous qui tue la démocratie, c'est l'impunité".

Un séisme politique
Ce qui est sûr, c'est que, comme le rappelle l'éditorial du journal Públicodu 23 novembre, "la détention [de José Socrates] provoque un séisme politique". En premier lieu au Parti socialiste [PS], qui se préparait avec António Costa, candidat récemment désigné pour les législatives de 2015, à prendre le relais du gouvernement de Pedro Passos Coelho.

Ainsi, pour José Vitor Malheiros, du journal Público, "la détention de Socrates jette une ombre sur le PS et son actuel leader [...]. La crédibilité d'António Costa est sérieusement affectée par le placement en détention de Socrates, et sa capacité à rassembler une équipe est limitée par l'impérieuse nécessité d'éliminer les 'socratistes' les plus visibles dans son entourage. António Costa a appelé au calme et "à ne pas céder à une 'purge stalinienne' où l'on décrocherait les portraits des anciens leaders".
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