L'infographie a de quoi effrayer : une vague rouge, orange et jaune se propage depuis le Japon dans tout l'océan Pacifique, touchant les côtes nord et sud-américaines ainsi que l'Asie du Sud-Est. Selon les sites qui la diffusent, il s'agit de l'eau fortement radioactive qui s'écoule de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima, contaminant tant la nappe phréatique de la région que l'ensemble de l'océan. Alors, la centrale japonaise est-elle en train de polluer la moitié de la planète ?
Depuis un mois, ce graphique a été massivement
repris, sur les blogs, réseaux sociaux et forums. "Fukushima :
l’océan Pacifique serait entièrement pollué", titre le site d'information
antillais Smx
le 17 octobre. Et d'alerter : "Des quantités extrêmement dangereuses de
strontium, tritium et césium se seraient échappées de feue Fukushima pour se
déverser dans tout l’hémisphère nord, portées par les courants, la pluie et le
vent."
"Les radiations de Fukushima sont déjà en
train de tuer des Nords-Américains", va même jusqu'à affirmer Nodisinfo
le 10 octobre. "Au cours des années à venir, cette catastrophe en cours
pourrait potentiellement affecter la santé des millions et des millions de
personnes vivant dans l’hémisphère nord, et le plus triste est que beaucoup de
ces gens ne sauront jamais la vraie cause de leurs problèmes de santé",
renchérit le blog Le
Nouveau paragdime le 26 octobre. En 2012 déjà, le graphique avait circulé
sur certains sites
écologistes, notamment assorti d'un titre alarmiste : "Un cauchemar
radioactif".
En réalité, cette visualisation, réalisée en 2011
par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA)
américaine, montre non la contamination radioactive mais les pics
d'amplitude lors de la propagation du tsunami du 11 mars 2011, à partir des
données enregistrées dans l’océan Pacifique. Aux extrêmes, les ondes de surface
dépassant les 2,4 mètres sont représentées en noir tandis que le jaune indique
celles inférieurs à 20 centimètres. Entre les deux, le rouge symbolise une
amplitude de 40 cm et l'orange de 20 à 40 cm. On peut retrouver la modélisation
sur le site de la NOAA
avec son véritable titre, ainsi qu'avec un autre format :
Ce détournement ne doit toutefois pas faire
oublier que des éléments radioactifs s'échappent bel et bien de la centrale pour
finir dans l'océan. Depuis la catastrophe, l'opérateur Tepco est en effet
confronté à un problème majeur : celui des eaux radioactives. 400 000 tonnes
d'eau, contaminées après avoir servi à refroidir les réacteurs, sont accumulées
sur le site – 300 000 dans des réservoirs et le reste dans les sous-sol de la
centrale. Conséquence : 300 tonnes d’eau contaminée (avec notamment du césium,
strontium et tritium) finissent
à la mer chaque jour depuis la nappe phréatique. Des fuites
des réservoirs sont également régulièrement découvertes, comme nous l'avons
expliqué dans cette vidéo :
Dans une étude
publiée ce mois-ci dans la revue Deep-Sea Research, des
scientifiques ont étudié la trajectoire dans l'océan du césium 137, l'un des
radioéléments les plus persistants dans la mesure où sa demi-vie est de 30 ans
(c’est-à-dire le temps au bout duquel la moitié des noyaux radioactifs se sont
désintégrés).
Conclusion : le panache de césium 137 émis dans
le mois qui a suivi la catastrophe devrait atteindre le nord-ouest de la côte
américaine au début de l'année prochaine, mais à des niveaux sans danger pour la
santé. Un puissant courant passant près des côtes japonaises, le Kuroshio, a en effet dilué la
radioactivité en quatre mois à des niveaux inférieurs aux normes de
l'Organisation mondiale de la santé, tandis que les tourbillons du Pacifique ont
poursuivi ce processus de dilution. Les chercheurs prévoient des taux compris
entre 10 et 30 Becquerels par mètre cube d'eau (Bq/m3) sur les côtes
de l’Oregon et de l’Etat de Washington entre 2014 et 2020, et entre 10 et
20 Bq/m3 en Californie entre 2016 et 2025.
Ce graphique montre les concentrations en
césium 137 à la surface des océans (entre 0 et - 200 mètres) en avril 2012 (a),
avril 2014 (b), avril 2016 (c) et avril 2021 (d).
"Ces taux, s'ils sont environ dix fois
supérieurs à ceux d'avant la catastrophe de Fukushima, restent malgré tout très
faibles. Ils ne présenteront aucun danger pour la faune et la consommation de
produits de la mer, commente Dominique Boust, responsable du laboratoire de
radioécologie de Cherbourg-Octeville à l'Institut de radioprotection et de
sûreté nucléaire (IRSN). Avec une moyenne de 20 Bq/m3 d'eau, on
devrait retrouver 2 Becquerels par kilo de poisson frais, ce qui est très en
deçà du niveau maximum admissible en Europe, de 500 Bq/kg, ou au Japon, de 100
Bq/kg."
Audrey Garric
Le Monde
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