Son père, Chrysostome Antoine Seurat, était huissier de justice auprès du Tribunal de la Seine. Homme solitaire et taciturne, il vivait dans sa résidence d'été au Raincy, où il cultivait ses fleurs et ne rendait visite qu'une fois par semaine le mardi à sa femme et à son fils boulevard Magenta à Paris. Georges fut très proche de sa mère, Ernestine Faivre, qui sut lui donner son affection ainsi qu'à ses deux aînés et fut très tôt initié à la peinture par son oncle maternel Paul Haumonté-Faivre, marchand de tissus et peintre amateur. Sa vocation ne fut ainsi jamais contrariée. |
Enfant, il allait souvent avec sa mère au proche Jardin des
Buttes-Chaumont. De tels endroits de loisirs et les gens qui
les fréquentaient allaient devenir un de ses thèmes favoris en peinture.
L'ETUDIANT
REVANT D'UNE APPROCHE SCIENTIFIQUE DE LA PEINTURE
En 1875, Seurat alla suivre les cours de dessin d'une école du
soir municipale dirigée par le sculpteur Justin Lequien où il
se lia d'amitié avec Edmond Aman-Jean (1858-1936), futur peintre et
affichiste symboliste.
En 1876, il y étudie la Grammaire des arts du dessin de Charles
Blanc qui exposait "La loi du contraste simultané des
couleurs" dégagée en 1836 par le chimiste français Eugène
Chevreul (1786-1889), avant d’être admis en février 1878 avec
Aman-Jean à l'École des Beaux-Arts, où il fréquentera la classe
de Henri Lehmann, élève de Jean Auguste Dominique Ingres.
Seurat ne brilla pas particulièrement lors de ses études à l'Ecole
des Beaux-Arts, qu'il interrompit en 1879 pour une année de service militaire à
Brest où il remplit de nombreux cahiers de dessins de
marines.
Jeune homme, Seurat était grand et séduisant, avait des yeux de
velours et une voix calme. Il avait hérité du caractère réservé et
secret de son père et se présentait toujours de façon soignée
et bien habillé, au point que le sarcastique Degas devait le
surnommer "le notaire". Il était extrêmement studieux et solitaire, préférant la
lecture à d'autres plaisirs de son âge.
Poursuivant ses recherches, Seurat lira la traduction de l'essai
"Modern Chromatics" de l'américain Ogden Nicolas
Rood. Il étudie également "L'Essai sur les signes
inconditionnels dans l'art" de Humbert de
Superville, où sont dégagées des correspondances entre les lignes et
les couleurs d'une part, les émotions qu'elles suscitent de
l'autre.
Seurat découvrira les Impressionnistes en 1879 à leur
4ième exposition, et se mettra très tôt en tête de dépasser
leur approche intuitive de la peinture par une démarche
scientifique, même si sa peinture à ses débuts fut nécessairement
influencée par l'impressionnisme. Rentré à Paris en 1880, Seurat passe deux années entières à étudier le dessin en noir et blanc, ne commençant ses premières toiles qu'en 1882.
Il s'intéressera principalement à des peintres qui ont privilégié
la construction dans leurs oeuvres comme Corot, Millet, et
surtout Puvis de Chavannes (1824-1898), peintre d'esprit
symboliste.
Avec "Paysannes au travail", on peut percevoir
l'influence de Millet, et le désir de Seurat de synthétiser un
moment où sont réunis dignité du travail, fruits de la récolte et communion avec
la nature. Seurat y innove déjà sur le plan pictural par des
touches de couleur pure hachurées en
croisillons.
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UNE ENTREE
REMARQUEE DANS LA PEINTURE
En 1883, Seurat fut admis à exposer pour la 1ère et unique fois au
Salon Officiel de Paris.
Seurat peindra en 1883-84 le premier de ses 7 grands tableaux majeurs,
"Une baignade à Asnieres", qui fut refusé au Salon, et
qu'il exposera au 1er Salon des Indépendants en 1884. Pour ce grand tableau, Seurat procédera, comme pour les suivants, par de nombreux dessins et tableaux constituant autant d'études préalables, dont il se sert ensuite pour réaliser, sur une longue période (généralement en atelier en hiver), l'oeuvre complète. Ce tableau, avec ses personnages simplifiés et comme figés dans leurs attitudes, baignés dans une étrange lumière, où le temps semble arrêté, dégage une poésie singulière et constitue une oeuvre radicalement étrangère à l'impressionnisme, ainsi qu'à toute convention picturale existante. |
Le nouveau Salon des Indépendants avait été créé par quelque 400
artistes refusés au Salon Officiel, sur une idée d'Albert Dubois-Pillet.
Il allait permettre à un petit nombre de peintres de se reconnaître
autour de recherches communes : Seurat, Dubois-Pillet, Paul
Signac, Charles Angrand, Henri-Edmond
Cross et Odilon Redon, et voir l'acte de
naissance du futur groupe des néo-impressionnistes.
Ceux-ci feront par la suite partie du Comité chargé d'animer la
Société des Artistes Indépendants. Le Salon des Indépendants
fonctionnait sans jury, ni récompense et avait pour but de "libérer les
artistes de l'oppression des jurys et de la tyrannie académique". Seurat y
exposera régulièrement chaque année jusqu'à sa mort.
Seurat allait continuer ses recherches, avec
Angrand qui apparaît alors comme le plus intime parmi les
peintres qui l'entourent, rendant visite à Chevreul qui leur
présente ses derniers travaux sur la division de la lumière et les cercles
chromatiques.
1886, LE
POINTILLISME OU NEO-IMPRESSIONNISME
Il se rend également souvent avec Signac sur l'Ile de la
Grande Jatte à Asnières où il multiplie les études
pour une grande composition pour laquelle il souhaite appliquer pour la première
fois avec une rigueur scientifique son
principe de la division des couleurs en petits
points se mélangeant optiquement.
Sa réalisation lui demandera deux années
d'intense travail et aboutira à son plus grand chef-d'oeuvre
"Un dimanche
après-midi à la Grande Jatte" 1884-86, qui sera la véritable oeuvre
fondatrice du "Pointillisme".
Seurat a 25 ans et réalise là un tableau d'où se
dégage une sensation de maîtrise totale, où tout est soigneusement ordonnancé,
et où, à nouveau, le temps semble arrêté pour un moment de beauté
pure, de paix et de silence. Avec ce tableau Seurat nous entraîne dans
son univers de dignité quasi irréelle magnifié par la
luminosité résultant de la division des tons. Un moment où l'art
transcende le quotidien!
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Un dimanche après-midi à la Grande Jatte 206x305 cm 1884-86 Art Institute of Chicago |
Pissarro, que Signac avait présenté à
Seurat, fut tellement impressionné par ce tableau qu'il adopta
les petites touches du divisionnisme de Seurat, contrairement aux principaux
impressionnistes qui rejetèrent cette nouvelle approche picturale. Il imposa
Seurat et Signac à la 8ième et dernière exposition des
Impressionnistes de 1886, provoquant le retrait de
Monet, Renoir et Sisley.
La "Grande Jatte" de Seurat y suscitera une véritable
fascination dérangeante et y tiendra la vedette, comme elle
devait le faire au 2ième Salon des Indépendants la même année, faisant de
nouveaux adeptes de la méthode de la division des tons à
laquelle Seurat donnait alors le nom de "Divisionnisme" après
celui, trop compliqué, de "Chromo-luminarisme".
Le critique d'art et écrivain Félix Fénéon allait
devenir l'ardent défenseur du divisionnisme de Seurat dans ses chroniques et le
rebaptiser " Néo-Impressionnisme". Signac, lui, préférait le
terme "Pointillisme".
La même année 1886 Seurat, ainsi que Signac, seront exposés avec
les impressionnistes par le marchand d'art Durand-Ruel à
New-York.
En février 1887, "La Grande Jatte" sera exposée au
Salon des Vingt de Bruxelles,
provoquant le même éblouissement et entraînant dans le
néo-impressionnisme un premier cercle de peintres belges, Théo Van
Rysselberghe, Henry Van de Velde, William
Finch...
Rapidement le mouvement s'étendra aux autres pays
d'Europe : La Hollande, l'Allemagne, la Suisse et l'Italie.
LE PEINTRE DE
LA COTE L'ETE
A partir de 1885, sur les conseils de Paul Signac, Seurat passera régulièrement les mois d'été en bord de mer pour "se laver l'oeil des jours d'atelier et traduire le plus exactement la vive clarté, avec toutes ses nuances", d'abord sur la Côte Normande dans le Calvados, à Grandcamp (1885), Honfleur (1886), Port-en-Bessin (1888), puis plus au nord au Crotoy (1889) et à Gravelines (1890). Il y retrouve ses émotions d'enfant et cette luminosité si particulière, et travaille à des marines, moins complexes que ses grands tableaux, où il s'attache à exercer sa technique pointilliste pour dépeindre la luminosité de l'atmosphère. Ses paysages marins dégagent une impression de grandeur, de calme, mais aussi de solitude. Ils furent généralement bien accueillis par les critiques |
UN
DIVISIONNISME DE PLUS EN PLUS SAVANT ET RIGOUREUX
Après avoir exposé la Grande Jatte, Seurat n'avait
plus que cinq années à vivre. De santé fragile, et fournissant un travail
acharné, il mourra en 1891 de manière totalement inattendue et subite d'une
angine infectieuse, à seulement 31 ans.
Pendant toutes ces années, il cherchera à rendre son système
encore plus rigoureux et s'isolera orgueilleusement du cortège de ses
imitateurs.
Pour répondre aux critiques prétendant que sa méthode ne permettait pas de
reproduire la vie, Seurat décide de faire un grand tableau de nus. Les peintres néo-impressionnistes remettaient en cause la traduction d'une réalité éphémère mise à l'honneur par les impressionnistes. Attentifs au pouvoir d'expression des lignes et des couleurs, ils renouent avec les grands principes de la composition en peinture. Avec "Poseuses" pour lequel il procéda à trois délicates études de nus, Seurat remettait le nu à l'honneur et, en situant le tableau dans son atelier ("La Grande Jatte" en arrière-plan), souhaitait souligner l'importance du travail du peintre en atelier. |
La même année, Seurat réalisait un autre grand tableau "La
parade" - 1888, qu'il expose à la 4ième exposition des Indépendants et qui
fut incompris des critiques et du public.
Les néo-impressionnistes remirent aussi à l'honneur le portrait
solennel, genre dans lequel beaucoup excellèrent. Seurat dont les grands tableaux à l'extrême rigueur divisionniste n'étaient pas compris des critiques et du public s'isolait de plus en plus dans son atelier. Pourtant une femme rentra dans son quotidien, Madeleine Knobloch, dont il fit son modèle, et qui lui donna un fils Pierre Georges en 1890, qui devait décéder un an seulement après son père. Il la peint ici dans "Jeune femme se poudrant"-1889-90. Dans ce tableau, comme dans beaucoup d'oeuvres de Seurat, l'artiste peint un cadre sur la toile afin d'assurer une transition entre l'oeuvre elle-même et son encadrement. |
En 1890, Seurat réalisait un nouveau grand tableau "Le chahut"
- 1890.
L'été 1890, le peintre est à Gravelines, où il
fait une série de paysages et met en projet un nouveau grand tableau "Le
Cirque".
Seurat travaillera tout l'hiver 1890-91, jour et nuit, à la réalisation de ce
grand tableau particulièrement complexe (40 personnages),
désirant le présenter au prochain 8ième Salon des Indépendants de mars 1891. Seurat l'y exposera, partiellement inachevé. Il meurt subitement pendant l'exposition, à l'âge de 31 ans d'une angine infectieuse. Signac dira alors: "Notre pauvre ami s'est tué par trop de travail". L'oeuvre de Seurat, réalisée sur moins de dix années de peinture, représente effectivement une énorme somme de travail, compte tenu de la méthode scientifique de Seurat, à l'opposé de la spontanéité impressionniste, avec ses multiples dessins ou "croquetons" préliminaires (jusqu'à trente pour la Grande Jatte) et sa technique pointilliste. Seurat fut incontestablement à l’origine d’une importante révolution en peinture et on peut se poser la question de savoir où son art l’aurait conduit s’il avait vécu plus longtemps. L'oeuvre de son ami Paul Signac allait évoluer vers des touches plus larges et la libération des couleurs portées à leur paroxysme, dont le Fauvisme allait s'inspirer. |
L'oeuvre de Seurat servira, elle, davantage de
référence aux peintres cubistes, avec celle de
Cézanne plus souvent citée, séduits par sa clarté
scientifique de conception, le contrôle absolu qu'il exerce sur sa
sensibilité d'artiste pour aboutir à une représentation totalement
maîtrisée.
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