8.12.14

La chute des maîtres du Portugal

Jose Socrates lors d'un meeting de campagne en 2011. AFP PHOTO/ FRANCISCO LEONG
Les portes de la prison pour VIP d'Evora se sont ouvertes le 25 novembre pour laisser entrer l'ancien Premier ministre du Portugal José Socrates, au pouvoir de 2005 à 2011. L'établissement a également accueilli la semaine dernière le chef de la police des frontières du pays et, quelques mois auparavant, Armando Vara, ancien ministre adjoint de Socrates.
La détention provisoire de Socrates a été appliquée quatre mois après la libération conditionnelle de Ricardo Salgado [ex-président de la Banco Espírito Santo (BES)]. Elles ont été toutes deux décrétées par le même juge et les deux hommes sont accusés des mêmes délits : fraude fiscale et blanchiment. L'un est le politicien qui a dirigé le pays avec la majorité absolue de 2005 à 2009, l'autre était le 'premier banquier', l'administrateur de la famille la plus influente du pays, les Espírito Santo, celui qu'on a surnommé DDT, "Dono Disto Tudo","le maître de tout ça". "Tout ça" – au cas où un doute subsisterait – étant le Portugal.
L'ère Socrates : "Une époque terrifiante" 
Les symboles de ces temps heureux sont tombés en quatre mois. "Le pays était joyeux, tout était merveilleux, il y avait du travail pour tout le monde", se souvient l'économiste João Duque, président de l'Institut supérieur d'économie et de gestion. Ces cinq années de luxe ont commencé avec l'obtention de la majorité absolue par le socialiste. "Socrates était le grand promoteur et Salgado le grand banquier. Il y avait là une réunion d'intérêts qui bénéficiait aux deux parties", poursuit Duque. 
Salgado était l'administrateur de la BES, la première banque du pays, et des holdings de la famille, qui étendait son empire jusqu'en Europe, en Afrique et en Amérique latine. Au Portugal, personne ne battait d'un cil ou ne bougeait un paquet d'actions sans son consentement.
"Le pays a vécu une époque terrifiante", explique Jose António Saraiva, directeur de l'hebdomadaire Sol, que Socrates a essayé de fermer. "Socrates avait réuni cinq pouvoirs dans ses mains, une configuration sans précédent dans une démocratie européenne : le Parlement, le gouvernement, les médias (endettés auprès de la banque) la justice (deux jours avant son arrestation, il déjeunait encore avec le procureur général de l'époque) et la banque. Il avait placé certains de ses amis, comme Vara, à la tête de banques nationalisées. Il ne lui manquait que la banque privée, la BES, alors il a resserré ses liens avec Salgado."
Une entente parfaite entre le banquier et le politique 
Le premier gouvernement de Socrates a lancé d'importants travaux publics, qu'il a fallu financer. "La BES et d'autres banques lui ont prêté l'argent nécessaire parce que le rendement était bon et qu'elles avaient les garanties de l'Etat", explique João Duque. 
L'économiste se souvient d'opérations qui n'étaient pas très logiques, comme l'achat à un prix démesuré de la compagnie aérienne Portugália, en faillite, par TAP, une compagnie 100 % nationale. "Le principal actionnaire [de Portugália] était Espírito Santo", précise Duque. Selon lui, il s'était produit "une entente parfaite entre le banquier qui finance et le politique qui veut faire des travaux".
Socrates démissionne en mars 2011 et remet les clés du pays aux fonctionnaires de la troïka (FMI, BCE et CE) qui dirigent le sauvetage économique du pays. Il emporte avec lui la réputation acquise dans ces années heureuses ; ceux qui lui succèdent héritent de la facture. Comme il abhorre l'austérité, il se retire à Paris où il se consacre à l'oisiveté [José a repris ses études à l'Institut d'études politiques de Paris].
Suspicions de blanchiment depuis dix-sept ans
Le directeur du Sol se souvient de ses déjeuners avec lui. "C'était un menteur pathologique, raconte-t-il. Vous aviez l'impression qu'il vous ouvrait son cœur, qu'il se confiait à vous, mais tout ce qu'il disait n'était que mensonges. On ne savait jamais s'il mentait ou non. Je n'ai jamais rien vu de tel."
Socrates flirtait avec les suspicions de blanchiment et de trafic d'influence depuis dix-sept ans. Même son diplôme d'ingénieur, obtenu à presque 40 ans, soulevait des soupçons tout à fait fondés.
Sa collaboration avec Salgado a été fondamentale dans l'émission continue de dette publique qui a fini par emporter l'Etat et la banque dans la tourmente. "L'Etat émettait et la BES plaçait. La formule semblait parfaite", commente Duque. 
Lorsque le juge a accordé la liberté conditionnelle à Salgado en juillet 2014, Socrates s'est réjoui : "Les motifs de sa détention sont puérils", a-t-il déclaré dans son émission de télévision sur la chaîne RTP. En quatre mois, le juge Alexandre a démoli la réputation des symboles des "temps heureux" et du duo Espírito Santo-Socrates. 
Courrier International

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