Territoire traditionnellement sûr dans l’imaginaire portugais, le système financier connaît pourtant lui aussi la crise ces dernières années. LeBPP [Banque privée portugaise], le BPN [Banque portugaise des affaires] et le Banif [Banque internationale de Funchal] ont connu des sigles et des sursauts divers et variés.
Aujourd’hui, le sort que connaît le Banco Espírito Santo (BES), établissement ancré dans cent cinquante ans d’histoire et arborant le visage et le nom d’une famille – vecteur, en soi, d’identification et de sécurité –, constitue la dernière secousse en date dans un secteur qui, en réalité, n’est pas immunisé contre la volatilité des crises. Les Portugais sont passés de la révérence pour l’argent à la crainte pour l’avenir de leurs dépôts. Une inquiétude de plus.
L’impact social de la crise de la banque BES
“L’affaire BES a renforcé la situation d’incertitude, constate le sociologue Miguel do Carmo. Cette idée que tout peut arriver suscite une énorme méfiance envers ceux qui nous gouvernent.” Et la gestion de notre argent ne dépend pas exclusivement des politiques de rendement ou de la politique budgétaire de l’Etat : elle passe par les banques.
Le phénomène n’est pas nouveau. “Le Portugal est l’un des pays d’Europe où la confiance est la plus basse, tant entre les individus qu’envers les institutions et les acteurs politiques”, renchérit ce chercheur à l’ISCTE de Lisbonne. Et cette défiance est quantifiable : “Ces dernières années, la confiance est en recul, désormais au niveau 2 d’une échelle qui en compte 10.”
Les derniers événements autour du BES [devenu Novo Banco, “nouvelle banque”], dont le changement de nom est emblématique de cette déstabilisation des conceptions traditionnelles, viennent renforcer le phénomène. “C’est un symptôme terrible, qui augure d’un avenir qui se bouche, d’une généralisation de la défiance”, insiste Miguel do Carmo. “Et ce niveau de défiance a des conséquences sociales, la mobilité sociale est plus bloquée qu’avant, et elle va continuer à se figer davantage.”
“La seule certitude que nous pouvons avoir, c’est celle de la mort”
Telmo Mourinho Baptista, président de l’ordre des psychologues, ne dit pas autre chose : “Ce manque de transparence autour des banques a des conséquences sur le sentiment de sécurité, qui est pourtant essentiel [dans la société].” Ce n’est pas l’avis de Francisco Garcia dos Santos, président de l’Association portugaise des courtiers et spécialiste d’économie comportementale : “Les gens cherchent la sécurité, car l’insécurité est facteur de stress, mais l’avenir, par définition, est dépourvu de certitudes, l’avenir est insécurité.” Avant d’asséner : “La seule certitude que nous pouvons avoir, c’est celle de la mort.”
“Les activités économiques vont naturellement de pair avec une grande incertitude. La différence entre certitude et risque, c’est que le risque est considéré comme de l’incertitude gérable, analyse Garcia dos Santos. Les comptes bancaires inspirent un tel sentiment de sécurité que, dans les mentalités, cela revient au même que d’avoir son argent bien au chaud sous son matelas, or dès lors que l’activité bancaire c’est le risque, on se retrouve dans une instabilité permanente.”
Les discours rassurants de l’Etat n’ont qu’un seul but : éviter la panique
Mais alors, quels sont les facteurs de confiance aux yeux des actionnaires et des déposants ? “On part du principe que les capitaux propres sont suffisants pour faire face aux pertes. Mais quand ce n’est pas le cas, il y a un problème”, reconnaît l’économiste. A cette équation comptable vient s’ajouter la traditionnelle confiance [dans les institutions], même si “les discours rassurants de l’Etat, du régulateur et des établissements financiers n’ont qu’un seul but : éviter la panique. Ils n’ont aucun effet sur la réalité.”
“Là est la contradiction inhérente au fonctionnement du système économique : l’Europe est plus vulnérable parce qu’elle intervient davantage dans le système bancaire que les Etats-Unis, où le marché des capitaux fonctionne mieux et où les investisseurs sont conscients qu’ils peuvent perdre de l’argent”, juge le président de l’Association portugaise des courtiers.
“Le pouvoir de réglementation s’est amélioré dans l’Union européenne, mais l’affaire BES montre que nous vivons dans un système néolibéral qui protège le privé sans le réguler, dans un néolibéralisme d’Etat où l’Etat est accaparé par les intérêts d’un réseau de pouvoir anonyme et officieux”, dénonce le sociologue António Casimiro Ferreira. “L’affaire BES est un terrible révélateur de cette réalité.”
Le risque provient de facteurs qui sont hors de notre portée
A cela s’ajoute une exigence fondamentale : “Il est indispensable que ceux d’en haut donnent l’exemple. En pleine guerre sociale et morale, privés d’un cadre de référence, les gens sont en train de comprendre que ceux qui gouvernent n’ont pas la légitimité pour le faire, lâche José Pacheco Pereira. Tout le monde dit que la solution trouvée pour le BES est mauvaise, mais tout le monde dit aussi qu’il n’y en avait pas d’autre. On vit dans une espèce de dictature de ce qui doit être, or cela nuit à la possibilité du choix politique, le consensus s’impose, l’esprit critique est détruit”, analyse cet historien.
Et cela ne s’arrête pas là : “L’austérité est remise en cause : en réalité, c’était du côté de la dette et des banques qu’il fallait chercher le problème. L’affaire BES peut anéantir une bonne fois pour toutes le storytelling qui consiste à prétendre que les Portugais ont vécu au-dessus de leurs moyens”, poursuit Renato Miguel do Carmo. “Avec ce scénario d’incertitude, toute la rhétorique autour de l’entrepreneuriat a volé en éclats.” En somme, le risque provient de facteurs qui sont hors de notre portée – et c’est exactement le contraire de ce qu’on n’a cessé de nous dire.
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