9.5.15

Portugal. Sauvons les plages de l'Algarve de leur destruction programmée



En 2002, le journaliste Miguel Sousa Tavares commentait dans les pages de ce journal un article publié en 1963 par sa mère [la poétesse Sophia de Mello Breyner Andresen], sous le titre “Pelo negro da terra e pelo branco do muro”, dans lequel elle énumérait avec une perspicacité remarquable les périls qui menaçaient l’Algarve tout juste redécouverte : “L’incompétence, la bêtise, la spéculation foncière, les mauvais architectes, le faux traditionalisme, la manie du luxe et de l’ostentation, les opérations immobilières ‘de vitrine’, et surtout, le manque d’amour.”
“Pour autant, analysait alors Miguel Sousa Tavares, on aurait alors eu du mal à imaginer que la barbarie et la sauvagerie pure atteindraient l’ampleur actuelle et celle à venir, quand ce qui reste encore théoriquement protégé – les zones humides de la Ria Formosa et de la Ria de Alvor – sera tout autant dévasté par le ‘progrès’.
Un vandalisme inédit
Des prophéties qui, non contentes de s’être avérées, sont même en deçà de la réalité. La folie destructrice qui depuis quarante ans s’est abattue sur la région, bétonnant le littoral, dénaturant les paysages du barrocal [arrière-pays, à la topographie de transition entre littoral et montagne] et défigurant villes, villages et hameaux, s’en prend aujourd’hui au plus inconcevable des anéantissements : celui des plages de la côte déchiquetée du Barlavento de l’Algarve !


Ce morceau de littoral, précieux concentré d’identité algarvienne, référence incontournable des ouvrages recensant sur la planète les sites aux formations géologiques les plus spectaculaires et les plus rares, sans égal dans le monde que le parc national de Port Campbell, en Australie.

Il est la cible d’un vandalisme inédit : rognage, démantèlement, bétonisation et enfouissement des plages bordées de falaises, des affleurements rocheux, des éperons, sous prétexte que le terrassement serait le remède miracle pour cette côte naturellement et intrinsèquement instable.
Dona Ana, la plus belle plage du monde
L’arbitraire en cette contrée n’a donc pas de limites, et on le constate une fois encore, sans doute possible, avec le prochain chantier sur le point de commencer : le remblaiement, à coups de tonnes de gravier (parler de sable serait trop d’honneur), de la plage de Dona Ana, élue dernièrement “plus belle plage du monde” par le magazine espagnol Condé Nast Traveller, et “plus belle plage du Portugal” par TripAdvisor [site web qui offre des conseils touristiques émanant de consommateurs].
Il s’agit là d’augmenter de 40 à 50 mètres la longueur de la plage, ce qui implique aussi de la rehausser de plusieurs mètres, et donc de recouvrir une quantité colossale de rochers et d’affleurements – autant dire que Dona Ana est appelée à devenir un remblai difforme sans plus aucune ressemblance avec la plage d’origine. Cette affaire n'est pas sans précédent, puisque la Praia da Rocha [la “plage de la roche”] n’a plus guère de roche que dans son nom, victime du plus grand crime paysager qu’ait connu l'Algarve au XXsiècle.
Tornade sur les plages idylliques
Les intérêts économiques ont à peine fini de chanter sur tous les toits le sacre de la belle plage de Dona Ana qu’ils s’empressent de condamner à mort cette même plage et sa beauté, trop avides de pouvoir installer sur le sable quelques centaines de baigneurs supplémentaires en faisant fi des limites naturelles de cette grève qui, comme toutes celles du Barlavento, a toujours été une petite plage.


Cette volonté toute récente de créer une, deux, trois, tout un ensemble de Praias da Rocha sur la côte du Barlavento, s’abat telle une tornade sur des plages idylliques qui cessent alors de l’être : Praia do Castelo, Praia da Coelha, Praia Nova, Praia de Benagil, Praia do Carvoeiro, la liste n’est pas exhaustive. La plage dite du Peneco, à Albufeira, autrefois surplombée d’une éminence sculpturale, le Rochedo do Peneco, offre un panorama désolant : outre la qualité déplorable du sable qui a servi au remblaiement, le fameux rocher s’est retrouvé largement enterré et, avec lui, le charme et l’identité de cette plage.

Les exigences du tourisme de masse
Derrière ces actions de “défense du littoral” se cache l’Agence portugaise de l’environnement, qui sévit sur l’ensemble des côtes portugaises. Elle ne manque pas d’arguments : érosion et recul du littoral, manque de sédimentation en raison des barrages, protection du patrimoine bâti sur la côte, sécurité des baigneurs, montée attendue du niveau de la mer.
Je pourrais moi-même en fournir trois autres, décisifs ceux-là : la protection des constructions privées réalisées en lisière des falaises, les exigences du tourisme de masse et l’espoir d’un énième rebond immobilier. Sur la côte du Barlavento, en Algarve, ce sont ces arguments-là qui priment.
Non à la brutalité du bulldozer
Il est certes indispensable de surveiller, de protéger et de sécuriser ces plages bordées de falaises, mais, pour intervenir dans ce milieu naturel d’une extrême délicatesse, il faut la sensibilité de l’artiste et non la brutalité du bulldozer. Or c’est cette dernière qu’on a malheureusement vue à l’œuvre jusqu’à présent, manifestation d’un mépris affligeant pour le patrimoine paysager.
La Costa Dourada, qui s’étend de Lagos au site de la Ponta da Piedade et comprend la plage de Dona Ana, fut pour la poétesse Sophia de Mello Breyner Andresen le théâtre de tous les enchantements. Laisser faire aujourd’hui le remblaiement de Dona Ana, c’est permettre que toutes les autres plages subissent le même outrage. Laisser le profit triompher de la beauté ? L’issue dépend de nous.
Courrier International - France

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