8.11.13

Les prisons de Salazar au patrimoine de l'humanité ?

Le camp de Tarrafal, au Cap-Vert. Pausa/Flickr/CC
Les camps de concentration installés par la dictature de l'Estado Novo [régime autoritaire ayant sévi de 1933 à 1974 au Portugal et dans son empire colonial] dans les pays d'Afrique lusophone doivent être classés au patrimoine national et présentés sur la liste indicative du Patrimoine mondial de l'humanité : telle est en tout cas la proposition faite par la conférence internationale Rota dos Presídios no Mundo Lusófono ["Route des pénitenciers du monde lusophone"], qui réunissait à Tarrafal, au Cap-Vert, des chercheurs portugais, capverdiens, angolais, mozambicains et bissau-guinéens.
Les participants ont également plaidé pour une étude approfondie des prisons politiques installées dans les différents pays, et proposé la mise en place d'un cabinet commun qui accompagne la création de musées sur ces camps de concentration de la sphère lusophone.
Un musée dans le camp de Tarrafal
Un projet de musée de la résistance sur le site du camp de Tarrafal avait déjà été lancé lors d'un colloque organisé sur place en mai 2009, pour commémorer l'ouverture de cette prison le 1er mai 1974, et la libération de tous les détenus politiques qui s'y trouvaient.
Si cet événement, auquel participaient d'anciens prisonniers de Tarafal, avait en 2009 une tonalité plus politique, ce sont aujourd'hui des enjeux historiographiques qui ont pris le dessus, en témoigne par exemple la discussion autour d'un sujet délicat : la réutilisation du camp de l'île de Santiago comme prison après l'indépendance du Cap-Vert. De fait, après la "révolution des œillets" et la libération des détenus politiques de la dictature salazariste, le régime du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (Paigc) avait rouvert l'établissement, avant qu'une loi de juillet 1975 n'interdise définitivement l'exploitation pénitentiaire de Tarrafal.
Si l'ouverture de musées dans d'anciens camps de concentration et autres lieux de la répression politique n'est jamais totalement anodine (la question de la muséification de l'horreur s'est posée avec une acuité particulière autour des camps d'extermination nazis), c'est une démarche aujourd'hui largement répandue dans le monde, par exemple avec les centres de torture des Khmers rouges au Cambodge, le camp d'Auschwitz-Birkenau ou les goulags soviétiques.
Des camps de concentration du Cap-Vert au Mozambique
Pour l'historienne Irene Flunser Pimentel, qui participait à la conférence de Tarrafal, ces espaces concentrationnaires doivent être préservés. Elle déplore ainsi la destruction de la prison d'Aljube à Lisbonne, mais se félicite de la création prochaine d'un musée d'Aljube "qui sera en somme le premier musée de la résistance antifasciste". "Cela vaut la peine qu'on s'efforce de conjuguer les efforts de tous les pays concernés", insiste-t-elle, pour que soient étudiés et préservés les camps de concentration que le régime de Salazar avait installés dans les anciennes colonies africaines.
Le plus connu est incontestablement celui de Tarrafal, dans le nord de l'île capverdienne de Santiago : dans la première phase de son existence, de 1936 à 1954, il fut d'abord utilisé pour incarcérer des prisonniers politiques portugais. Sur plus de 300 communistes, anarcho-syndicalistes et autres opposants à la dictature qui passèrent par Tarrafal, près de 10 % moururent dans le camp, dont des personnalités de premier plan comme le chef du parti communiste portugais Bento Gonçalves, qui y décéda en 1942.
Ainsi, la majorité des Portugais a entendu parler de Tarrafal, mais pas, par exemple, du camp de Machava, au Mozambique, où les conditions de vie étaient pourtant bien pires, souligne Irene Pimentel. "Le camp de Tarrafal, notamment parce qu'il avait reçu deux visites de la Croix-Rouge, servait un peu de vitrine des prisons du régime."
Fermé en 1954, l'établissement capverdien rouvrit ensuite en 1961 sur décision d'Adriano Moreira, alors ministre de l'Outre-mer. Dans cette deuxième période, déjà marquée par les guerres d'indépendance, il servit surtout à enfermer des militants des divers mouvements nationalistes, parmi lesquels des intellectuels angolais comme Luandino Vieira ou António Jacinto.
 
COURRIER INTERNATIONAL

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